lundi 13 septembre 2010

Burkina Faso - Pénurie de gaz: mélange explosif de la galère et de la colère

(L'Observateur Paalga 13/09/2010)
Les yeux embués de larmes causées par la fumée qui se dégage des fourneaux ; des brûlures consécutives aux étincelles de charbon ardent, de la cendre, du charbon et du bois au coin des maisons ; des retards dans la cuisine…, le tout couronné par les plaintes répétées des chefs de famille.
C’est, ces derniers temps, le quotidien des ménagères de notre capitale Ouagadougou, depuis qu’il est impossible de trouver le gaz butane dans nos stations et boutiques en temps voulu. Pour que la joie ne quitte pas leur foyer, elles se battent, au sens propre et figuré du terme, dans de longues files d’attente pour se procurer le précieux combustible. Nous avons fait le constat de cette situation dans quelques quartiers de la ville, la veille du ramadan, le jeudi 9 septembre 2010.
« Des ruptures qui chagrinent les ménages », titrions-nous notre livraison du 20 septembre 2007 au sujet de la pénurie de gaz butane, principalement les bouteilles de 6 kg. Un manque qui a fait, en son temps, souffrir les consommateurs d’août à septembre et qui était dû à la rupture d’un pont sur l’axe Pama-Fada, où les camions de la Société nationale burkinabè d’hydrocarbures (SONABHY) en provenance du port de Cotonou étaient bloqués. Trois (3) ans après, à peu près à la même période, le problème a refait surface et se pose avec beaucoup plus d’acuité. Laisser bouillir inutilement l’eau dans la marmite sans y mettre immédiatement l’aliment à cuire ou sans transvaser ladite eau pour usage. C’est ce que les détenteurs de gaz doivent absolument éviter ces derniers temps pour ne pas perdre le privilège d’en avoir. Il ne suffit pas d’avoir ses quatre mille (4000) francs CFA pour avoir sa bouteille de gaz de 12 kg pleine de combustible.
Le port de Cotonou au Bénin, notre source principale, voire quasi unique, d’approvisionnement en gaz butane, connaît des travaux qui mettent en péril la sécurité au niveau de sa sphère de stockage du gaz. Conséquence, la Société nationale burkinabè d’hydrocarbures (SONABHY), qui y enlevait par semaine 1500 tonnes, n’arrive plus à satisfaire la demande nationale et le retour forcé au charbon de bois et au bois de chauffe est, pour le moins, pénible et grève le Nan songo.1 A la Cité AN III, au dépôt d’Assane Boly, il y avait de la tension dans l’air, le 9 septembre, entre la centaine de consommateurs qui attendait de se faire servir alors qu’il n’y avait que soixante-dix (70) bouteilles disponibles.
Chacun cherchait la moindre peccadille pour déverser sa colère. Et personne n’est à l’abri, pas même les reporteurs que nous sommes. « Hé ! vous là, ne nous faites pas perdre le temps ! Laissez le gérant faire son travail. Si vous insistez, vous allez voir. Ça veut dire quoi ? » nous lance à la figure Florentin Tapsoba, le visage grave et prêt à bander les muscles. Heureusement que tout le monde n’approuve pas son comportement ; certains nous voyant comme le relais de leur colère. Dix (10) minutes plus tard, notre “ami” retrouve la sérénité et, d’un ton conciliant, nous confie la raison de son mécontentement.
« Depuis deux (2) semaines, je suis à la recherche du gaz, je ne sais plus combien de fois je suis venu ici. Hier on a volé 2 motos en ces lieux. C’est dire le calvaire des usagers ; et ce qui me fait mal, c’est qu’on ne nous explique pas assez le fond du problème. J’ai l’impression que le gouvernement nous a laissé à nous- mêmes ». Après avoir passé le mois de ramadan sans gaz, Mariam Kouanda tenait à en avoir pour la fête. « Depuis un mois, je dépense par jour 300 F pour le charbon et le bois. Je pensais au moins que pour la fête tout serait mis en œuvre pour résoudre le problème, mais hélas ! je suis obligée de rentrer bredouille », regrette-t-elle.
A côté d’elle, Salamata Ganaba, venue du secteur 12, opte de persévérer dans l’attente : “Je suis là depuis minuit ; il est maintenant 10 heures mais je ne partirai pas parce qu’il faut que le riz du ramadan soit cuit et bien cuit pour ma famille et pour les étrangers”. Même les stars ne savent plus où donner de la tête, à l’image de Big Ben, présentateur des grands événements à la télévision nationale : “Je suis venu avec deux bouteilles Oryx et Sodigaz, je vais consacrer toute ma journée à la recherche du gaz. Depuis deux jours, toute ma famille mange au restaurant ; je ne peux pas continuer à le faire”. Sylvain Ouédraogo est en colère contre son bailleur qui lui a interdit d’allumer du bois dans le célibatérium ; et, de peur d’être expulsé, il se soumet à son injonction.
En véhicule, on gagne
Plus loin, quelques consommateurs ont jeté leur dévolu sur le dépôt de Sodigaz à Pissy pensant pouvoir se servir aisément à la source. Mais les vigiles, qui semblent avoir reçu des consignes fermes, se montrent intransigeants et ne laissent passer que certains véhicules personnels, qui en ressortent avec le précieux combustible. Si certains propriétaires de véhicules ne repartent qu’avec une seule bouteille, d’autres par contre font presque un chargement. Ce qui irrite Rasmané Kaboré. “Tous ceux qui arrivent à avoir une seule bouteille en ces lieux ont certainement des bras longs. Je suis vendeur de longue date de gaz et fidèle à Sodigaz, mais aujourd’hui, je ne suis pas capable d’avoir une petite bouteille pour ma cuisine ; c’est injuste”, fulmine-t-il.
Parmi les privilégiés on peut citer le secrétaire général de l’Union syndicale des travailleurs du Burkina (USTB), Mamadou Nama, qui est ressorti avec deux bouteilles. Pour autant, il n’est pas moins virulent à l’égard des autorités : “C’est pas le fait que la pénurie dure un mois ; même une heure de rupture constitue une anomalie grave, car gouverner c’est prévoir. Depuis 5h, je tourne à la recherche de ce combustible parce que je refuse, pour sauver des arbres, d’utiliser le bois de chauffe, bien qu’on en trouve chez moi à Sapouy.
On a tenté de nous expliquer que tout relève du Bénin. Mais est-ce que le fait d’avoir un gardien chez soi nous empêche de prendre des mesures personnelles pour notre propre sécurité ? Il y a eu de l’imprévision, les gens ne trouvent plus leur intérêt dans la gestion des affaires de l’Etat parce que eux-mêmes se confondent à l’Etat. Cette situation fait la honte du pays. J’ai eu deux bouteilles, l’une de 6 kg et l’autre de 12 kg. J’enverrai une à ma maman à Sapouy parce qu’elle aussi est soucieuse de la protection de l’environnement comme moi. Je dois dire que j’ai eu gain de cause grâce à l’un de nos militants. Et ceux qui repartent bredouilles, que feront-ils ? Il faut que les choses changent”.
Sachant, comme ils le disent eux-mêmes, que les consommateurs sont friands d’information sur la question, nous avons tenté d’approcher des responsables de Sodigaz, l’une des plus grandes sociétés de distribution, mais l’heure n’était pas à la communication le jeudi dernier. “Ils ne peuvent pas vous recevoir car ils sont en réunion”, nous a dit avant de nous éconduire le vigile en faction, après les avoir joints au téléphone. “Mais quand peut-on les avoir ?” lui avons-nous demandé. Après un deuxième coup de fil il nous répond : “Ils disent la semaine prochaine”. N’ayant rien à nous mettre sous la dent, sinon sous la plume, nous avons, à 13h, mis le cap sur le siège de ladite société où des centaines de clients se sont rendus, espérant se faire servir. Nous y avons été accueillis par des files d’attente d’environ 500 m chacune.
“Mon mari pense que je fais autre chose”
Nombreuses étaient celles qui voulaient exprimer leur ras-le-bol. En faisait partie Rasmata Ouédraogo, qui nous raconte : “Je suis alignée depuis 4h mais c’est seulement maintenant (NDLR : il était 13h 20) que je viens d’être servie. Je suis même, depuis 2001, une cliente de Sodigaz, car je livre les ménages, qui me paient à tempérament. Ce qui se passe aura de très graves conséquences dans nos foyers. Hier, mon mari m’a dit que mes absences répétées à la recherche du gaz cachent autre chose.
Vous voyez à quoi il fait allusion ! Je sais que je ne suis pas la seule à être accusée d’adultère ou de toute chose semblable dans cette situation. Si ça continue, soyez sûrs que nous serons dans la rue”. Vu le monde, certains clients, dont des militaires, se sont assignés la mission de maintenir l’ordre en faisant rentrer les gens par groupes de cinq. Mais ils ne veulent pas qu’on parle de cette action quand bien même elle serait citoyenne. “Petit frère, tu es journaliste. S’il te plaît, ne parle pas de moi et ne passe pas non plus ma photo sinon c’est pas bien pour moi. Je ne fais qu’aider mes frères et sœurs ; on ne m’a pas envoyé”, nous supplie un d’entre eux, le ceinturon en main.
Avant de franchir la porte, il faut absolument être dans le rang et attendre son tour, sauf si on est reporteur comme nous. A l’intérieur, les agents de Sodigaz ne font que livrer et encaisser leur argent. Selon l’un d’eux, la société a vendu 1050 bouteilles au cours de la journée du 8 septembre et compte mieux faire le jour suivant. Ceux qui arrivent à toucher du doigt leur récipient rempli de butane esquissent un large sourire pour les uns, et les autres poussent un cri de victoire. Dans ce contexte, deux groupes de personnes se frottent les mains. Il s’agit des gérants de parkings spontanés et de leurs intermédiaires. Sont de ces derniers Sitou Abdallah, qui a monté la garde dans la nuit du 8 au 9 septembre à partir de 21h pour réussir à avoir 6 bouteilles autour de 8h 30 pour des ménagères du secteur 28 qui lui ont remis 3000 FCFA en raison de 500 F l’unité.
A 13h, il avait 12 autres bouteilles qui lui permettront, une fois échangées, d’engranger encore de l’argent. Les propriétaires de parking se frottent aussi les mains, même s’ils relativisent leur gain. “Le parking est plein mais nous avons toutes sortes de clients. Nombreux sont ceux qui sont venus juste avec l’argent du gaz sans un surplus, ils négocient avec nous pour la garde de leur engin. Certains sortent nous lancer une pièce de 25 FCFA au lieu de 50 F. Ces derniers valent mieux que ceux qui sortent et nous tendent un billet de 10 000 F, tu n’as d’autre choix que de les laisser partir, même si tu sais que certains parmi eux sont de mauvaise volonté”, nous explique Adama Balouré à Pissy. Ses propos ont été confirmés par Amado Sambaré, qui officie à la cité AN III.
La SONABHY rassure
Avant de mettre le cap sur la SONABHY, nous n’avons pu nous empêcher d’écouter Wilfried Ouédraogo, un jeune fougueux qui tenait mordicus à nous parler. “Nous voulons du gaz, un point c’est tout ! Dites à Blaise que si son progrès continu consiste à construire des échangeurs en laissant le peuple dans la galère, il faudra qu’il revoie sa copie. Combien de personnes se sont absentées ou ont fait des retards à leur lieu de travail ? Ce qui se passe n’est pas acceptable”, lâche-t-il avant de démarrer en trombe. Rares sont les boutiquiers du quartier qui disposent de gaz. Ceux qui en disposent vendent la nuit et en cachette pour éviter la marée humaine. Issa Ouédraogo dit avoir fermé sa boutique à Tanghin après que des femmes s’y sont frappées.
Même si le prix des sachets de charbon de bois (50 F et 100 FCFA) n’a pas varié, leur contenu a connu une cure d’amaigrissement. Le sac qui coûtait 4500 FCFA se négocie maintenant autour de 6000 FCFA. La vendeuse au détail, Rachidatou Nikièma, reconnaît la multiplication des clients ces derniers temps. Parmi eux, des gérants de kiosques, obligés de se rabattre sur ce combustible pour que les inconditionnels du Nescafé et thé “Lipton” puissent être servis. “Nous avons d’énormes problèmes avec le charbon de mauvaise qualité qu’on est obligé de souffler en permanence.
Conséquence, les clients se plaignent des retards de service, d’autres de la tiédeur de l’eau. Heureusement que beaucoup comprennent que c’est un problème conjoncturel ; à une certaine période de la journée, nous sommes obligés d’arrêter le service parce qu’on ne peut pas avoir continuellement de l’eau chaude”, nous dit Boukari Sana, gérant de kiosque à Gounghin.
Les choses sont-elles en train de rentrer dans l’ordre à la SONABHY ? Rien n’est sûr, même si on n’y croise pas les bras. Nous avons été reçu par le chargé de Communication de cette structure, Joseph Sama. Selon ce dernier, la fourniture ne s’est jamais arrêtée, même si la quantité n’est pas suffisante.
A en croire celui-ci, le 7 septembre, 11 camions sont rentrés avec du butane et une dizaine était annoncée le 10 septembre. Face aux accusations de manque de prévision, le communicateur a fait remarquer qu’il y a 1500 tonnes toujours bloquées à Cotonou du fait des travaux qui y ont lieu. La principale source d’approvisionnement, le port de Cotonou, étant fermée, la SONABHY s’est tournée vers la Côte d’Ivoire qui, malheureusement, connaît des problèmes et ne veut pas les “aggraver en cette période de précampagne”. Néanmoins, elle a consenti à nous fournir, selon le communicateur, 200 tonnes par semaine.
Au Ghana, la consommation de butane est plus forte, surtout que certains véhicules l’utilisent comme carburant. Le directeur de l’exploitation de la SONABHY, Hilaire Kaboré, est reparti au pays d’Houphouët pour poursuivre les négociations. Pour Joseph Sama, si l’accord entre nos deux pays tient, le problème sera jugulé. Selon lui, si jusque-là on se bouscule sur le terrain, c’est parce que beaucoup veulent faire des provisions ne sachant pas quand on retournera à la situation normale.
Justement, on se demande quand la nationale des hydrocarbures retrouvera le chemin du port de Cotonou pour nous apporter le gaz à gogo. Prions Dieu que les travaux qui s’y déroulent s’accélèrent et que les solutions idoines soient trouvées pour que nos ménages retrouvent la sérénité.
Abdou Karim Sawadogo
Issa Bébané (stagiaire)

© Copyright L'Observateur Paalga

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